41

 

Vladimir Polevoï leva les yeux de son bureau tandis que son adjoint, le numéro deux de la plus vaste organisation d’espionnage du monde, Sergeï Iranov, entrait d’un pas décidé dans la pièce.

« Vous me paraissez bien nerveux, ce matin, Sergeï.

— Il s’est évadé, déclara Iranov d’une voix tendue.

— De qui parlez-vous ?

— De Paul Souvorov. Il a réussi à s’échapper du laboratoire secret des Bougainville. »

Le visage du chef du K.G.B. se tordit de colère : « Nom de Dieu, il ne manquait plus que ça !

— Il a appelé notre antenne de New York depuis une cabine publique de Charleston en Caroline du Sud pour réclamer des instructions. »

Polevoï quitta son fauteuil pour arpenter rageusement le sol.

« Pendant qu’il y était, pourquoi ne pas appeler aussi le F.B.I. ? Ou faire passer une annonce à la télévision ?

— Heureusement, son supérieur a aussitôt envoyé un message codé pour nous informer de cet incident.

— Au moins, il en reste quelques-uns qui réfléchissent !

— Et ce n’est pas tout, reprit Iranov. Il a emmené le sénateur Larimer et Moran avec lui. »

Polevoï se retourna d’un bloc.

« L’imbécile ! Il a tout fait rater !

— Ce n’est pas entièrement sa faute.

— Et comment en êtes-vous venu à cette remarquable conclusion ? demanda le chef du K.G.B. avec sarcasme.

— Souvorov est l’un de nos meilleurs agents aux Etats-Unis. Il est loin d’être stupide. Il n’était pas au courant du projet Lugovoy et on peut logiquement supposer qu’il dépassait sa compréhension. Il a dû se montrer très soupçonneux et agir en conséquence.

— En d’autres termes, il a fait ce qu’on lui a appris à faire.

— A mon avis, oui. »

Polevoï haussa les épaules avec fatalisme.

« Si au moins il s’était borné à nous donner les coordonnées du laboratoire, nous aurions pu intervenir et enlever le projet Huckleberry Finn des mains des Bougainville.

— Telles que les choses se présentent, Mme Bougainville est peut-être furieuse au point d’abandonner l’opération.

— Et faire une croix sur un milliard de dollars en or ? J’en doute. Elle tient toujours le Président et le vice-président. Moran et Larimer ne représentent pas une grosse perte pour elle.

— Pour nous non plus, affirma Iranov. Les Bougainville étaient surtout destinés à nous servir de couverture au cas où les Américains auraient découvert l’affaire. Mais maintenant, l’enlèvement des deux membres du Congrès pourrait être considéré comme un acte de guerre et, dans le meilleur des cas, provoquer une crise grave. Il serait préférable d’éliminer purement et simplement Moran et Larimer. »

Polevoï secoua la tête :

« Pas tout de suite. Leur connaissance du dispositif militaire américain pourrait nous être infiniment précieuse.

— Un pari hasardeux.

— Pas si nous prenons soin d’en disposer rapidement si jamais le filet se resserrait autour de nous.

— Dans ce cas, notre priorité absolue est d’empêcher le F.B.I. de les retrouver.

— Souvorov a-t-il une cachette sûre ?

— Je ne sais pas, répondit Iranov. New York lui a demandé de les contacter toutes les heures jusqu’à ce qu’ils aient reçu des instructions de Moscou.

— Qui dirige nos opérations secrètes à New York ?

— Un certain Basil Kobilin.

— Informez-le de la situation dans laquelle est Souvorov, mais naturellement sans mentionner le projet Huckleberry Finn. Il faut qu’il le mette en lieu sûr avec ses prisonniers jusqu’à ce que nous ayons trouvé un moyen de leur faire quitter les Etats-Unis.

— Ce ne sera pas facile, fit Iranov en se laissant tomber dans un fauteuil. Les Américains recherchent activement leurs dirigeants disparus. Tous les aéroports sont étroitement surveillés et nos sous-marins ne peuvent pas approcher à plus de 500 milles de leurs côtes sans être détectés.

— Il reste toujours Cuba.

— Les garde-côtes et la marine américaine quadrillent toute cette zone pour lutter contre les trafiquants de drogue. Je vous déconseillerais de tenter quoi que ce soit dans cette direction. »

Polevoï se tourna vers la fenêtre de son bureau surplombant la place Dzerjinski. Le soleil de midi ne parvenait pas à égayer les sinistres bâtiments de la ville. Un petit sourire naquit sur ses lèvres.

« Pouvons-nous les diriger sur Miami ?

— En Floride ?

— Oui. »

Iranov réfléchit un instant :

« II y a toujours le risque de barrages routiers, mais je crois que nous devrions y arriver.

— Bien, fit le chef du K.G.B. tout à coup plus détendu. Faites le nécessaire. »

 

Moins de trois heures après l’évasion, Lee Tong Bougainville sortait de l’ascenseur du laboratoire devant lequel l’attendait Lugovoy. Il était plus de deux heures du matin, mais il paraissait aussi frais qu’après une nuit de sommeil.

« Mes hommes sont morts, déclara-t-il sans l’ombre d’une émotion. Je vous en tiens pour responsable.

— Je ne pouvais pas prévoir, répondit le Russe avec beaucoup de calme.

— Comme cela ?

— Vous m’aviez assuré que cet endroit était parfaitement protégé. Je ne pensais pas qu’il chercherait vraiment à s’enfuir.

— Qui est-ce ?

— Paul Souvorov, un agent du K.G.B. que vos hommes ont embarqué par erreur sur le ferry de Staten Island.

— Mais vous, vous saviez qui il était.

— Il n’a dévoilé sa présence qu’après notre arrivée.

— Et vous n’avez rien dit.

— C’est juste, admit Lugovoy. J’ai eu peur. Cette expérience terminée, je dois retourner en Union soviétique. Et croyez-moi, il n’est jamais bon de s’opposer aux gens chargés de la sécurité de l’Etat. »

Bougainville lisait la crainte dans les yeux du psychologue, comme il la lisait dans les yeux de chaque Russe qu’il rencontrait. Ils se méfiaient tous des étrangers, de leurs voisins, de quiconque portait un uniforme. Pourtant, il n’avait pas pitié de Lugovoy. Il le méprisait au contraire pour accepter de vivre ainsi sous l’oppression.

« Ce Souvorov n’a pas causé d’autres dégâts ? demanda-t-il.

— Non. Le vice-président a été légèrement commotionné, mais il est à nouveau sous sédatifs. Quant au Président, il n’a pas été touché.

— Pas de retard ?

— Tout se déroule comme prévu.

— Et vous comptez avoir fini d’ici trois jours ? »

Lugovoy acquiesça.

« Bien. Il faut que vous ayez terminé avant. »

Le Russe ne sembla pas avoir entendu. Puis soudain la vérité lui apparut.

« Oh ! non, s’écria-t-il. C’est impossible. Mon équipe et moi faisons déjà en dix jours ce qui aurait dû en prendre trente. Vous faites sauter tous nos garde-fous. Il faut laisser le temps au cerveau du Président de se stabiliser.

— C’est le problème de votre Antonov, pas le mien, ni celui de ma grand-mère. Nous avons rempli notre part du marché. En permettant à un agent du K.G.B. d’entrer ici, vous avez compromis toute l’opération.

— Je vous jure que je n’ai rien à voir avec l’évasion de Souvorov.

— C’est vous qui le dites, répliqua froidement Lee Tong. Je préfère croire que tout avait été combiné à l’avance, probablement sur ordre du président Antonov. Souvorov a maintenant contacté ses supérieurs et tous les agents soviétiques en place aux Etats-Unis doivent être en train de converger sur nous. Il va nous falloir déplacer le laboratoire. »

C’était le coup de grâce. Lugovoy était livide.

« Impossible ! gémit-il comme un chien blessé. Nous ne pouvons pas déménager le Président et tout le matériel dans un autre endroit et tenir les délais absurdes que vous nous imposez. »

Bougainville dévisagea le psychologue à travers les fentes étroites de ses yeux. Puis, d’un ton glacial, il déclara :

« Ne vous inquiétez pas, docteur. Il ne sera pas nécessaire de déménager. »

 

Panique à la Maison-Blanche
titlepage.xhtml
panique a la Maison-Blanche_split_000.htm
panique a la Maison-Blanche_split_001.htm
panique a la Maison-Blanche_split_002.htm
panique a la Maison-Blanche_split_003.htm
panique a la Maison-Blanche_split_004.htm
panique a la Maison-Blanche_split_005.htm
panique a la Maison-Blanche_split_006.htm
panique a la Maison-Blanche_split_007.htm
panique a la Maison-Blanche_split_008.htm
panique a la Maison-Blanche_split_009.htm
panique a la Maison-Blanche_split_010.htm
panique a la Maison-Blanche_split_011.htm
panique a la Maison-Blanche_split_012.htm
panique a la Maison-Blanche_split_013.htm
panique a la Maison-Blanche_split_014.htm
panique a la Maison-Blanche_split_015.htm
panique a la Maison-Blanche_split_016.htm
panique a la Maison-Blanche_split_017.htm
panique a la Maison-Blanche_split_018.htm
panique a la Maison-Blanche_split_019.htm
panique a la Maison-Blanche_split_020.htm
panique a la Maison-Blanche_split_021.htm
panique a la Maison-Blanche_split_022.htm
panique a la Maison-Blanche_split_023.htm
panique a la Maison-Blanche_split_024.htm
panique a la Maison-Blanche_split_025.htm
panique a la Maison-Blanche_split_026.htm
panique a la Maison-Blanche_split_027.htm
panique a la Maison-Blanche_split_028.htm
panique a la Maison-Blanche_split_029.htm
panique a la Maison-Blanche_split_030.htm
panique a la Maison-Blanche_split_031.htm
panique a la Maison-Blanche_split_032.htm
panique a la Maison-Blanche_split_033.htm
panique a la Maison-Blanche_split_034.htm
panique a la Maison-Blanche_split_035.htm
panique a la Maison-Blanche_split_036.htm
panique a la Maison-Blanche_split_037.htm
panique a la Maison-Blanche_split_038.htm
panique a la Maison-Blanche_split_039.htm
panique a la Maison-Blanche_split_040.htm
panique a la Maison-Blanche_split_041.htm
panique a la Maison-Blanche_split_042.htm
panique a la Maison-Blanche_split_043.htm
panique a la Maison-Blanche_split_044.htm
panique a la Maison-Blanche_split_045.htm
panique a la Maison-Blanche_split_046.htm
panique a la Maison-Blanche_split_047.htm
panique a la Maison-Blanche_split_048.htm
panique a la Maison-Blanche_split_049.htm
panique a la Maison-Blanche_split_050.htm
panique a la Maison-Blanche_split_051.htm
panique a la Maison-Blanche_split_052.htm
panique a la Maison-Blanche_split_053.htm
panique a la Maison-Blanche_split_054.htm
panique a la Maison-Blanche_split_055.htm
panique a la Maison-Blanche_split_056.htm
panique a la Maison-Blanche_split_057.htm
panique a la Maison-Blanche_split_058.htm
panique a la Maison-Blanche_split_059.htm
panique a la Maison-Blanche_split_060.htm
panique a la Maison-Blanche_split_061.htm
panique a la Maison-Blanche_split_062.htm
panique a la Maison-Blanche_split_063.htm
panique a la Maison-Blanche_split_064.htm
panique a la Maison-Blanche_split_065.htm
panique a la Maison-Blanche_split_066.htm
panique a la Maison-Blanche_split_067.htm
panique a la Maison-Blanche_split_068.htm
panique a la Maison-Blanche_split_069.htm
panique a la Maison-Blanche_split_070.htm
panique a la Maison-Blanche_split_071.htm
panique a la Maison-Blanche_split_072.htm
panique a la Maison-Blanche_split_073.htm
panique a la Maison-Blanche_split_074.htm
panique a la Maison-Blanche_split_075.htm
panique a la Maison-Blanche_split_076.htm
panique a la Maison-Blanche_split_077.htm
panique a la Maison-Blanche_split_078.htm
panique a la Maison-Blanche_split_079.htm
panique a la Maison-Blanche_split_080.htm
panique a la Maison-Blanche_split_081.htm
panique a la Maison-Blanche_split_082.htm
panique a la Maison-Blanche_split_083.htm
panique a la Maison-Blanche_split_084.htm
panique a la Maison-Blanche_split_085.htm